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Diesel : les pratiques des constructeurs automobiles en question – Les Echos

Les Echos, 29 avril – Les constructeurs limitent souvent l’efficacité de la dépollution au seul respect des normes.

L’écran de fumée se dissipe. Au fil de la publication des résultats des tests menés en Europe par les pouvoirs publics, on distingue mieux les limites des systèmes antipollution installés sur les voitures diesel. La plupart des experts savaient que les valeurs d’émission sur route dépassaient celles en laboratoire. Mais les analyses menées en France, au Royaume-Uni ou en Allemagne ont mis au jour une autre réalité.

En France, pas moins de 14 modèles sur 52 présentent des résultats anormaux à l’issue d’un test à peine différent de celui qui sert de référence légale au niveau européen (le NEDC). Moteur chaud, marche arrière, conditionnement du véhicule… Ces quelques changements suffisent pour faire exploser les émissions de dioxyde d’azote (NOx).

Le Nissan Qashqai dépasse ainsi de 266 % la norme sur les NOx. Certaines Renault (la Captur, la Clio), la Ford Kuga ou l’Opel Mokka font aussi partie des derniers de la classe. Comment expliquer un tel décalage ?

La température, une variable clef

Allemands, anglais ou français, les tests montrent tout d’abord que les systèmes de dépollution ne sont réellement efficaces qu’à l’intérieur d’une certaine plage de température. Ainsi, le système de Daimler est coupé dès que le thermomètre descend sous les 10 °C. Chez Opel, le bridage aurait même lieu dès 17 °C. De son côté, Renault a indiqué que ses systèmes de dépollution étaient peu, ou pas efficaces en dessous de 17 °C et au-dessus de 35 °C…

De fait, les tests britanniques réalisés en laboratoire sur des moteurs chauds plutôt que froids ont révélé des émissions allant jusqu’à 2,4 fois les niveaux autorisés… En clair, certains constructeurs calibrent électroniquement leurs systèmes antipollution pour les rendre vraiment efficaces entre 20 et 30 degrés – la plage retenue par le cycle NEDC… C’est assez pour passer l’homologation. Tant pis si, au quotidien, les systèmes de dépollution, payés par le client, servent surtout à décorer…

Un bridage nécessaire ?

Mais pourquoi ne pas utiliser à 100 % les équipements anti-NOx, et notamment les « vannes EGR » ? « On ne peut pas changer les lois de la physique. Il y a certaines conditions où l’on doit brider les systèmes », soufflait un constructeur asiatique en janvier. Sans cela, à pente très forte ou température extrême, « il peut se produire à l’intérieur du moteur un colmatage des vannes EGR par des dépôts de suie et, même parfois, de la condensation d’eau, susceptibles d’induire des défaillances moteur », détaillait, début avril, Gaspard Gascon Abellan, le patron de l’ingénierie de Renault, devant les députés.

Les constructeurs peuvent-ils mieux faire ?

Si elles ont un coût, des solutions existent néanmoins. A commencer par les systèmes SCR, « les seuls à pouvoir respecter les futures normes anti-NOx », estimait au dernier Salon de Genève, Thomas Weber, le patron de la R&D de Daimler. Les constructeurs, qui utilisent ces SCR affichent en général de meilleurs résultats que les autres, surtout lorsqu’ils sont installés tout près du moteur et du filtre à particules – et qu’ils disposent d’un réservoir d’AdBlue suffisamment rempli et accessible. Reste qu’il s’agit aussi d’un arbitrage permanent entre émissions de CO2 (la consommation de carburant augmente lorsque l’équipement anti-NOx est poussé à fond) et le plaisir de conduite, qui diminue quand les EGR et les SCR tournent à plein. Deux éléments qui pèsent chez les automobilistes.

Aux frontières de la loi

Dans ces conditions, la question de la légalité de ces pratiques se pose. Depuis 2007, la Commission européenne prohibe l’usage de « defeat device » – c’est-à-dire tout « dispositif d’invalidation » qui « réduit l’efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu’elles se produisent lors du fonctionnement et de l’utilisation normaux des véhicules ».

Le texte prévoit toutefois plusieurs exceptions, dont le risque de casse moteur. Le principal argument invoqué par les constructeurs pour leur défense. Et ce, même si Renault a annoncé qu’il se contenterait de modifications logicielles pour doubler la plage d’utilisation de son système antipollution. « En Europe, la météo ne perturbe pas le fonctionnement des systèmes antipollution », a soutenu, jeudi, Dirk Bosteels, le directeur de l’Association des équipementiers spécialistes du domaine devant le Parlement européen. « Les exceptions à l’interdiction du « defeat device » laissent une grande place à l’interprétation et permettent de réduire largement les performances des systèmes antipollution », regrettait dès 2013 un rapport du centre de recherche de la Commission européenne .

« Quelle est la différence entre le logiciel truqueur de Volkswagen et la gestion électronique des émissions moteur des autres constructeurs ? » s’interroge Dominique Riquet, député européen libéral démocrate.

Jeudi, la commission Royal a indiqué « qu’aucun dispositif d’invalidation » n’avait été détecté lors de ces tests. D’autres pourraient ne pas être de cet avis.

Maxime Amiot, Les Echos

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