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Elections allemandes : « il nous faut préférer une Europe intégrée à une Europe des égoïsmes nationaux » – TV5 Monde

Retrouvez ici le verbatim de mes interventions pour TV5 Monde, lors de la soirée électorale allemande dimanche dernier au Parlement européen, où je reviens plus en détail sur les difficultés prochaines d’une coalition allemande et les impacts de ces élections pour le futur de l’Union européenne :

Nathalie Maleux : Je m’adresse à Dominique Riquet : quelle est votre vision des choses ? Vous espériez finalement un quatrième mandat pour Angela Merkel mais il est vraiment tempéré par cette brusque montée de l’AfD.

Dominique Riquet : je pense finalement que l’Allemagne rejoint le paysage politique européen. Il y avait une espèce de vaccin de la deuxième guerre mondiale et du nazisme, or désormais le vaccin n’opère plus – c’est quand même une première remarque. La deuxième remarque est que malgré la très grande prospérité économique de l’Allemagne, il y a bien sûr des inégalités, des tensions sociales et on voit bien que la crise migratoire, le terrorisme et les problèmes de sécurité profitent effectivement à l’extrême droite – c’est à dire qu’on agite un peu le système de la peur – et finalement l’Allemagne, rejoint le paysage européen.

Nathalie Maleux : est-ce qu’elle tombe de son piédestal aujourd’hui dans le paysage européen ?

Dominique Riquet : d’une certaine façon, elle rentre dans le rang. Elle était semble-t-il vaccinée contre l’extrême droite, elle ne l’est plus. Et évidemment c’est un peu particulier quand on parle de l’Allemagne. Après, vu du côté français, nous ce qui nous aurait le mieux arrangé si je peux me permettre de porter un jugement, c’était la reproduction de la grande coalition…

Nathalie Maleux : et là, en tout cas, venu du SPD, c’est non apriori…

Isabelle Ory : Monsieur Riquet, vous dites cela, alors que vous êtes dans le même groupe politique que les libéraux allemands ?

Dominique Riquet : oui, mais sur cette question, je ne m’exprime pas en tant que centriste libéral français, mais en tant que français, et surtout, français europhile, c’est à dire quelqu’un qui souhaite une europe plus intégrée et plus effective. On sait clairement que le FDP a des positions budgétaires et gestionnaires qui sont extrêmement orthodoxes, et l’histoire par exemple d’une zone euro renforcée, d’un deuxième cercle, d’un budget de la zone euro, ils sont résolument contre – donc ce n’est pas un argument pour faire avancer l’Europe dans la bonne direction. Il y aura probablement une coalition à trois, les verts sont en faveur de l’intégration européenne – je pense qu’il faudra que Madame Merkel fasse preuve de sa légendaire habilité pour arriver à sortir dans les trois ou quatre moins qui viennent un programme.

Isabelle Ory : on dit qu’Emmanuel Macron a dit à un visiteur il y a quelques jours que « si elle gouverne avec les libéraux, je suis mort ». Vous pensez que toutes ces idées d’intégration européenne, de redémarrage de l’Europe dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines, et tout le monde attendait le résultat des élections allemandes – ces idées vont finalement pas voir le jour ?

Dominique Riquet : je ferais une remarque : il y a une petite musique qu’on aime, c’est que quand le Président de la Commission européenne – Jean Claude Juncker – a fait son discours sur l’État de l’Union, il a exprimé une position sur l’euro-zone, sur l’existence des deux cercles, sur le budget, et il a dit qu’il n’était pas favorable à cela. Si vous voulez mon avis, il ne l’a pas inventé – et il y a là une petite idée sur le fait que très probablement il y aurait des difficultés à ce propos. Il est clair que le Président Macron va continuer à porter ses propositions, ça sera une des bases de discussion, mais je ne suis pas sûr qu’on arrive à avoir pleinement satisfaction sur le sujet.

Nathalie Maleux : Dominique Riquet, si on l’a bien compris, avec peut être cette coalition qui se dessine avec les libéraux, avec les verts, c’est une coalition qui sera délicate, compliquée à mettre en œuvre. Cela va donc prendre du temps. Est-ce que c’est du temps perdu pour la réforme de l’euro, pour du mouvement véritable au cœur de l’Union européenne ?

Dominique Riquet : si cela aboutit à une possibilité programmatique qui permet d’avancer en Europe, cela ne sera pas du temps perdu. Mais on sait que en général il faut trois à quatre mois pour que des coalitions se forment avec des programmes, donc jusqu’à la fin de l’année, on sera en grande partie neutralisé sur le plan européen.

Je voulais revenir sur quelque chose : les libéraux, le FDP est pro-européen. Leur vision de l’Europe est plus « orthodoxe », sur le plan financier, mais ils ne sont pas eurosceptiques ou anti-européens. Ils ont simplement une vision très « classique, Allemande », et pas toujours une vision très synthétique de l’Europe. Par exemple, ils ne sont pas pour la mutualisation des dettes – qui sera probablement un sujet tabou -, ils ne sont pas non plus pour un budget de la zone euro, ou une gouvernance spécifique de la zone euro. Finalement, je dirais quand même que la manière dont l’Allemagne s’est positionnée jusqu’ici en Europe, elle leur convient assez bien, en défendant l’orthodoxie, donc à mon avis cela ne va pas changer grand-chose. L’entrée des verts, qui eux sont plutôt très favorables à l’intégration européenne – et qui sont à égalité, plus ou moins 10% de chaque côté, sont un élément qui peut être intéressant. Il y aura des difficultés avec les verts, notamment sur les questions automobiles ou environnementales, mais ils peuvent aussi être un élément de dynamique européenne. Donc c’est difficile de savoir où l’on arrivera – et je pense aussi que le rôle du Président français est très important, car il doit apporter des éléments de réflexion et d’action. Je pense que l’Europe ne peut pas rester figée sur la même position, donc il va bien falloir qu’elle avance sur un certain nombre de sujets. Je reste optimiste.

[…]

Dominique Riquet : la conviction des libéraux français, mais aussi de beaucoup libéraux en Europe, c’est que ce qui est bon pour l’Europe est bon pour leur pays. Et nous, c’est d’expliquer à nos amis allemands que si l’Europe avançait, ça serait peut-être pas plus mal pour eux. C’est quand même quelque chose d’important. Dans le contexte de mondialisation, il est clair qu’on a besoin non pas de moins d’Europe, d’une Europe des égoïsmes nationaux, mais de plus d’Europe. Et il faudrait peut-être expliquer à nos amis libéraux allemands que « l’Europe Allemande » ce n’est pas obligatoirement une Europe qui profite le mieux à l’Allemagne.

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