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Interview à L’Opinion sur le Plan Juncker

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« (Vis à vis de la France), nos collègues (députés européens) sont passés de l’agacement à la crainte »

Retrouvez l’entretien ici: http://www.lopinion.fr/17-decembre-2014/dominique-riquet-udi-315-milliards-d-euros-d-investissements-on-est-loin-compte

L’eurodéputé UDI Dominique Riquet salue l’ingéniosité politique du plan d’investissement de la Commission, mais est sceptique sur sa dimension financière: « avec 315 milliards d’euros d’investissements, on est loin du compte».

Le plan d’investissement de la Commission européenne est-il à la hauteur des attentes?

Le plan Juncker est une excellente proposition politique, qui arrive au bon moment et qui contient des éléments théoriques intéressants sur l’idée qu’il faut relancer la quête aux projets, revoir la régulation, intéresser le monde de la finance. On ne peut donc qu’applaudir. Mais après, il faut regarder d’où vient l’argent. Or sur les 21 milliards du fonds de garantie, 5 proviennent de la BEI (Banque européenne d’investissement) et resteront dans la BEI, et 16 sont pris dans le budget européen, dont 8 sur le programme pour la recherche «horizon 2020» et sur le mécanisme pour l’interconnexion de l’Europe, qui poursuivent le même objectif et dont le mode opératoire est déjà défini. Les autres 8 milliards viennent d’un fonds de flexibilité dans le budget européen : or nous avons aujourd’hui 30 milliards de factures impayées!

Pourtant, on entend très peu de critiques sur ce plan…

Critiquer la proposition contribuerait à l’affaiblir. Or tout le monde souhaite que le plan Juncker fonctionne, même les financiers les plus sceptiques de la place de Genève. De plus, il essaie de combler ce qui fait aujourd’hui cruellement défaut en Europe : la confiance. Il y a beaucoup d’argent privé, mais les investisseurs ne prennent pas de risques car les projets comportent une grande part d’incertitude, à toutes les étapes, depuis les études préliminaires jusqu’à la mise en service.

Vous croyez à un effet levier suffisant pour arriver en trois ans à 315 milliards d’euros d’investissements ?

Plus il y aura de contributions des Etats, plus vous aurez de capacité à intervenir sur les marchés. Avec ce type d’instrument financier, les effets de levier sont plutôt entre trois et cinq. Vous avez 21 milliards qui vont permettre de garantir un deuxième fonds de 60 milliards qui va permettre à son tour de lever jusqu’à 315 milliards d’investissements. Financièrement, ça peut fonctionner. Mais il faut reconnaître que, même avec ce montant, on est loin du compte. Certains pensent que cela pourrait relancer la croissance de 0,5 à 0,8 point sur les trois ans. Ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas mirobolant. Certaines études évaluent les besoins en investissements en Europe à 1000 milliards d’euros, au minimum, d’ici 2020.

La gouvernance du mécanisme vous semble-t-elle claire ?

La Commission sélectionnera avec les Etats membres des projets qui devront être rapidement opérationnels, avoir un effet sur la croissance et l’emploi, et avoir une valeur ajoutée européenne. Elle les enverra ensuite à la BEI qui est censée retenir des projets plus risqués qu’en temps normal en jouant sur la garantie financière apportée par l’Europe. Mais la BEI est une banque qui tient beaucoup à son triple A. De plus, il y a des acteurs qui ne sont pas associés au processus de sélection: le Parlement européen, dont l’accord sera pourtant nécessaire pour monter le fonds ; les banques nationales d’investissement, qui en ont assez que ce soit toujours la BEI qui gère à la fois les dossiers et l’argent ; les marchés, qui sont très préoccupés par le versant régulation. Quant aux Etats, s’ils mettent de l’argent dans le fonds, ils voudront obtenir une contrepartie dans la gouvernance. Mais c’est dans sa complexité que résident à la fois la faiblesse et la force de l’écheveau, car tout le monde se tient par la barbichette.

Est-ce que le plan sera suffisant pour convaincre les investisseurs ?

Le problème, quand vous portez un projet d’intérêt public, c’est que le retour sur investissement n’est pas purement financier ; il est social et sociétal, et se mesure en termes d’aménagement du territoire, d’emploi, de formation, d’équipements. Cela génère au second degré une activité économique dont les bénéfices ne vont pas directement aux investisseurs. En France, dans le transport public, l’usager paie 30% et le contribuable 70%. Toute cette affaire pourrait donc avoir deux conséquences. Premièrement, la vérité des prix pour les services au public, dans les transports, l’énergie, les télécommunications, etc. Deuxièmement, la stabilité de la réglementation économique et financière. Il va falloir que tout le monde prenne ses responsabilités.

La France est-elle prête à opérer ce changement de mentalité ?

Non, on est très en deçà de ça en France actuellement. On n’arrive pas à prendre les mesures nécessaires, et le gouvernement continue à creuser le déficit, c’est dément. Tout le monde voit qu’il faut arrêter la course à l’abîme, mais ça continue, et c’est comme cela depuis trente ans. On est en train de discuter du plan Juncker et de ses 315 milliards. Mais la France lèvera 215 milliards d’euros sur les marchés financiers l’année prochaine, juste pour payer ses fins de mois. Qui va répondre de tout ça ? Nos enfants. C’est scandaleux. J’ai senti pendant plusieurs années un agacement extraordinaire chez mes collègues étrangers du Parlement européen, mais aujourd’hui on fait peur. Il y a une perte d’influence très claire des élus français, qui est l’un des effets pervers des politiques que l’on mène. De plus, quand vous donnez le tiers des sièges aux populistes, vous perdez le tiers de votre marge de manœuvre.

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