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À la SNCF, le mode de négociation syndicale, c’est le rapport de forces ! – l’Opinion

SNCF : l’Etat déraille

L’Opinion, 31 mai 2016 – Actionnaire unique, l’Etat se permet de geler la réforme de l’accord social d’une SNCF qui n’a pas les moyens de financer son développement et qui accumule les erreurs

SNCF Opinion

Les faits – Le 31 mai au soir a commencé une grève illimitée à la SNCF, menée par les syndicats CGT, Unsa et Sud. La direction de la SNCF, en désaccord avec un compromis conclu par le gouvernement avec la CFDT sur un nouveau cadre social pour l’entreprise, discute de compensations financières avec l’Etat, selon une source proche des négociations citée par Reuters. Le gouvernement, engagé dans une épreuve de force avec les opposants à la loi Travail, dont la CGT et Force ouvrière (FO), s’efforce de désamorcer les conflits catégoriels. Une situation qui ne devrait pas arranger les difficultés du groupe ferroviaire.

Il est des boutades qui font honte plutôt que rire. Telle celle de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne invité au Congrès des maires de France, venu en avion : « Je n’ai pas osé prendre le train… Les trains français sont un moyen de transport qui n’est pas l’heure où nous sommes… » Symptomatique de la dégradation de l’image de la SNCF que l’État, unique actionnaire, laisse rouiller.

Un dialogue social miné par la peur de la grève

« À la SNCF, le mode de négociation syndicale, c’est le rapport de forces, déplore Dominique Riquet, député européen UDI vice-président de la commission transports au Parlement européen. La peur de la grève explique qu’on ait tant de mal à réformer le statut des cheminots qui, pourtant, plombe la compétitivité de l’entreprise de près de 30 % par rapport aux concurrents. »

Didier Aubert, secrétaire général de la CFDT Cheminots, note de son côté : « La direction de la SNCF ne discute par habitude qu’avec le syndicat majoritaire, la CGT ».

Cela crée inévitablement des blocages. Mais les choses bougent. Historiquement bien implantée, la CGT perd du terrain. Alors qu’il avait emporté 46 % des voix en 2006, le syndicat de Philippe Martinez est passé à 34,33 % en 2015. Il conserve un leadership mais qui s’érode. Le bloc des contestataires ne conserve sa place majoritaire que d’une toute petite longueur. L’Unsa arrive en seconde position avec 23,86 %. Avec la CFDT, ils représentent 39 % des salariés du groupe. Salariés dont le profil est aussi en pleine évolution. Plus diplômé, plus jeune, le cheminot d’aujourd’hui n’a pas les mêmes revendications qu’il y a 30 ans. « Et s’il est attaché aux acquis sociaux des anciens, il est aussi plus à même d’accepter des transformations de l’organisation du travail et de vouloir gérer au niveau local ses missions », décrypte un proche du dossier.

C’est le pari que fait Alain Vidalies, le ministre des Transports dans les négociations qu’il mène actuellement sur les accords d’entreprise : il a pris le parti de discuter directement avec la CFDT et l’Unsa, écartant du même coup la CGT et le PDG Guillaume Pépy. Lequel a menacé de démissionner avant de se raviser. L’État actionnaire, au bilan si mauvais à la SNCF, tente timidement de réaiguiller la négociation.

La fiabilité n’est plus qu’un souvenir

Le 12 juillet 2013, le déraillement du train Paris-Limoges en gare de Bretigny-sur-Orge, à cause d’une éclisse défectueuse, faisait sept morts et des dizaines de blessés. Un coup terrible dans l’opinion publique, mais aussi dans l’entreprise. La fin du mythe déjà bien écorné d’une SNCF fiable, sûre.

De fait, l’EPSF, l’Établissement public de sécurité ferroviaire, note une hausse nette des accidents de type collisions, déraillements, incendie de matériel ces dernières années. Il y en a eu 177 en 2014. Selon ERA, l’instance régulatrice du rail en Europe, la France se classe 6e sur la période 2007-2014 en termes de sécurité du rail et perd du terrain. Le Royaume-Uni, dont on a décrié la libéralisation du rail est deuxième.

Quant à la légendaire ponctualité de la SNCF, ce n’est plus qu’un souvenir. Bruno Gazeau, président de Fédération nationale des associations d’usagers des transports ne décolère pas : « Les TGV sont ponctuels dans 92 ou 93 % des cas. Pour les TER, c’est 82 %. Cela veut dire que chaque semaine, un usager régulier est en retard au moins une fois. Pour les Intercités, la ponctualité chute à 80 %. Pour le fret, c’est anarchique, il n’y a plus de règles. »

En cause, un sous-investissement chronique qui laisse les infrastructures dans un état désastreux. Sur le Transilien, le réseau d’Ile-de-France, la Cour des comptes dénombrait, début 2016, 40 % des voies et 30 % des aiguillages ayant plus de 30 ans, alors que la SNCF recommande un renouvellement au bout de 25 ans. « L’État a investi 2,7 milliards d’euros pour la seule régénération du réseau en 2015. Malgré cela la situation ne s’améliore pas, tant le retard est important depuis vingt ans », constate Bruno Gazeau.

Dominique Riquet estime qu’il faudrait le double pour garantir une simple remise à niveau. Or, ces moyens, l’État actionnaire ne les a pas.

Le tout-TGV a plombé le reste du réseau

L’État pèche en ne donnant pas assez de moyens à l’entreprise… Mais il a aussi parfois eu les yeux plus gros que le ventre et a engagé des stratégies pénalisantes, comme la priorité donnée aux lignes à grande vitesse.

« Promouvoir le TGV, c’est moderne et conquérant. Objectivement, il y a des marchés à gagner et ce sont des lignes plus rentables quand les TET (Intercités) sont en déficit permanent », explique Dominique Riquet.

On a donc construit des lignes TGV à foison et à un rythme accéléré. Une tous les 6 à 7 ans dans les années quatre-vingt, quatre en même temps en ce moment.

Certes, une partie est conçue en partenariat public-privé. Certes, la frénésie touche à sa fin. Mais le résultat est là : ces lignes coûteuses mobilisent les financements et assèchent les autres chantiers.

« L’État a voulu encourager ce qui était un foyer de gains… Mais il a aussi ruiné le service public de proximité, le transport régional par exemple, qui est pourtant celui que les usagers empruntent au quotidien. »

La dette comme un boulet

Longtemps, certains fonctionnaires de Bercy ont imaginé la création d’une « caisse d’amortissement de la dette ferroviaire ». L’idée ? Libérer la SNCF du poids du passé pour lui donner enfin les moyens d’investir en créant une structure de défaisance abondée par une recette ad hoc. Mais les sommes en jeu sont trop colossales. SNCF Réseau affiche une dette de 45 milliards héritée aux trois quarts de RFF. Une dette qui lui coûte plus de 1,2 milliard en intérêts annuels et se creuse de 2,5 milliards par an. En 2025, l’ensemble se montera à 59 milliards d’euros.

La faillite est écartée car « il est certain qu’en cas de problème financier, SNCF Réseau recevra un soutien immédiat de l’État, expliquent les analystes de S & P dans une étude récente. En conséquence, la note et la perspective de SNCF Réseau évolueront parallèlement à celles de l’État français ». Mais combien de temps l’État peut-il tenir ?

Il pourrait être obligé un jour par les instituts de statistique européens de requalifier la dette de la SNCF en dette publique. Ce qui ferait alors franchir à la France le seuil des 100 % d’endettement. Un risque que personne ne prend à la légère puisqu’en 2010 l’Insee avait imposé à Bercy de requalifier un tiers de la dette de RFF en dette d’État.

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