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Aucune idée de la manière dont les LGV Bordeaux-Toulouse vont être financées ! – L’Express

SNCF: l’Etat sans rigueur

L’Express du 24 mai 2016 : Surendetté, le système ferroviaire français est à bout de souffle. Face à des élus grisés par les retombées électorales des lignes à grande vitesse, aucun gouvernement n’a été capable d’enrayer la dérive des dépenses.

 

Il y a la « rigueur » à l’allemande, et puis, de l’autre côté du Rhin, la « créativité » à la française. Pour ne pas dire la « fantaisie comptable » hexagonale. En matière ferroviaire, cet antagonisme de principe a encore trouvé une illustration très concrète au début de 2016. A l’occasion de ses résultats annuels, la SNCF a annoncé quelque 12,2 milliards d’euros de dépréciations d’actifs, suscitant la surprise, voire l’incompréhension de certains observateurs. Officiellement, il s’agirait d’un « simple jeu d’écriture comptable, ne devant pas masquer les bonnes performances économiques du groupe ». En coulisses, on s’interroge pourtant sur les raisons et la signification de cette opération. Pourquoi avoir décidé de dévaluer maintenant ces actifs ? Est-ce une manière de demander à l’Etat de se porter à son secours ? Voire de reprendre une partie de la gigantesque dette ferroviaire, qui a franchi début 2016 les 50 milliards d’euros (dont 42 milliards hébergés dans SNCF Réseau) ? « Ce dont on peut être sûrs, c’est que la compagnie est en train de préparer les esprits à des temps plus durs. En dépréciant ses actifs, elle revoit à la baisse ses perspectives économiques », explique Marc Ivaldi, spécialiste des transports à l’Ecole d’économie de Toulouse. Avec toujours la même question lancinante quand il s’agit du rail français : qui finance ?

Au début des années 1990, déjà, Bruxelles alertait les Etats membres sur les risques de surendettement des compagnies ferroviaires. Mais, alors que l’Allemagne désendette scrupuleusement la Deutsche Bahn, et réforme son coûteux régime des cheminots, l’Etat français, lui, se veut beaucoup plus imaginatif en créant Réseau ferré de France (RFF), sorte de structure de défaisance servant à isoler la dette des comptes de la SNCF. En trente ans, le monstre passe de 20 à près de 50 milliards d’euros. Soit l’équivalent de 2,5 points de PIB français, échappant en grande partie au calcul de la dette maastrichtienne… « La France est aussi douée que la Grèce en maquillage des comptes publics, sans avoir besoin de Goldman Sachs pour ça! » ironise à cet égard un banquier d’affaires.

Pourquoi cette dérive? Et comment expliquer qu’aucun gouvernement n’ait réussi à y mettre un terme ? « L’explication est très simple : le ferroviaire est une activité par nature déficitaire, et beaucoup plus coûteuse que les autres modes d’aménagement du territoire. Pour financer ce service public, l’Etat a demandé à la SNCF de s’endetter à sa place. C’est à peu près comme si vous autorisiez un ministère à emprunter : vous auriez 5 porte-avions et 150 Rafale au Quai d’Orsay », raille un ancien de Bercy. En d’autres termes, la capacité d’endettement de RFF agit comme un pousse-au-crime pour des élus éblouis par les promesses (notamment électorales) du ferroviaire. « En 2011, François Baroin, maire de Troyes, qui est alors ministre de l’Economie et des Finances, donne son accord pour que sa région participe au financement de la LGV Est en échange de l’électrification de la ligne Paris-Troyes », raconte Yves Crozet, spécialiste des transports à l’université Lyon II, qui ne tarit pas d’exemples d’élus locaux incapables de faire prévaloir l’intérêt général sur celui de leur électorat. Mais, pour Gilles Savary, député socialiste de la Gironde et fin connaisseur du ferroviaire, « le pire de l’irresponsabilité politique a été atteint au moment du Grenelle de l’environnement, en 2007, avec les délirantes LGV promues par Jean- Louis Borloo et Dominique Bussereau ».

Dès 1998, SNCF et RFF tiraient la sonnette d’alarme

Résultat de cette gigantesque gabegie? Un réseau de 30000 kilomètres de voies laissé pour compte et vieillissant. Au bord de la rupture, comme l’a tristement illustré la catastrophe de Brétigny, en 2013. Avec une infrastructure totalement saturée et congestionnée, concentrant 65 % des voyageurs du pays, le réseau francilien est dans une situation plus qu’alarmante. « Le pire, c’est que plus les investissements sont retardés, plus les travaux de maintenance coûtent cher. C’est un cercle vicieux », explique Yves Crozet, économiste des transports. Ce n’est pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme. Jacques Rapoport, patron démissionnaire de SNCF Réseau, a retrouvé une lettre datée de 1998 dans laquelle Louis Gallois et Claude Martinand, alors dirigeants de la SNCF et de RFF, alertaient déjà le ministre des Transports sur l’inquiétante détérioration du réseau. En 2005, un audit de l’Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL) estime qu’en l’état, la moitié des lignes françaises pourraient fermer. En 2011, les grandes assises du ferroviaire érigent l’entretien de l’infrastructure en priorité absolue… Las. Malgré les efforts consentis, il manquerait encore 1 milliard d’euros par an au système ferroviaire pour enrayer le vieillissement.

« Lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, elle s’est positionnée en rupture avec la précédente majorité en faisant du TGV le responsable de tous les maux du ferroviaire. C’était une grille de lecture un peu facile. Pendant des années, le TGV, qui était très rentable, a financé le reste de l’infrastructure », estime le consultant Jean-Claude Favin Lévêque. Reste que, comme les autres, le gouvernement n’a pas résisté aux sirènes de la grande vitesse.

Le principe du « qui décide paie » sera-t-il respecté ?

Récemment, François Hollande annonçait la création du Grand Projet du Sud-Ouest (GPSO) devant relier Bordeaux à Toulouse et l’Espagne, et ce malgré l’avis négatif du Conseil d’Etat.

«Aujourd’hui, nous n’avons aucune idée de la manière dont ces lignes vont être financées », déplore le député européen Dominique Riquet.

Et pour cause, face à des équations financières de plus en plus difficiles à résoudre, les rares pistes de recettes nouvelles, comme l’écotaxe, ont été abandonnées sous la pression de la rue. Pour éviter de faire porter à la SNCF le poids de ces projets, la réforme de 2014 a prévu d’instaurer une règle d’or de l’endettement. « En résumé, la loi instaure le principe du “qui décide paie” : si une région veut sa ligne, ce sera à elle de la financer », explique Gilles Savary.

L’Etat saura-t-il s’y tenir ? Selon nos informations, le gouvernement essaierait déjà d’amoindrir la portée de ce principe. « Les arbitrages en cours laissent penser que la règle d’or ne portera que sur les LGV. Les autres projets, comme CDG Express [liaison entre Paris et Roissy], ne seront pas concernés », explique une source proche du dossier. Quant au contrat de performance censé fixer la trajectoire financière de la SNCF sur dix ans, il ne cesse d’être repoussé. Officiellement, le ministre des Transports assure attendre la fin des négociations sociales en cours, mais nombreux sont ceux à penser que rien ne débouchera avant la présidentielle. « Ce contrat doit être présenté à un haut comité ad hoc qui n’a toujours pas été constitué. Il y a fort à parier qu’il ne sortira pas avant 2017 », pronostique le sénateur centriste de l’Eure Hervé Maurey, membre du conseil de surveillance de la SNCF. Pendant ce temps-là, la dette supportée par la SNCF, elle, continue de filer. 3 milliards par an, dont 1,3 milliard rien qu’avec les intérêts…

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