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Les postures électoralistes des hommes politiques qui promettent de sauver le site de Belfort sont superflues – L’AGEFI

L’AGEFI, le 19 septembre 2016 :  « Je pense qu’Alstom serait prêt à discuter avec Siemens »

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Quelles solutions apporter au cas Alstom ?

Tout d’abord, je pense qu’il faut laisser les entreprises décider elles-mêmes de leur stratégie, en mettant à part les entreprises dont l’Etat est actionnaire majoritaire, ce qui n’est pas le cas s’agissant d’Alstom. Concernant le site de Belfort, il s’agit de restructurer l’outil et d’améliorer sa compétitivité et, s’il le faut, remettre en cause sa production de motrices. Les postures électoralistes des hommes politiques qui promettent de sauver le site sont superflues. Tous les sparadraps qu’ils peuvent inventer ne feront qu’aggraver la situation. Je pense notamment à la SNCF qui est déjà très endettée et dont la situation ne s’est pas arrangée après les discussions des accords de branche et de la convention collective pendant lesquelles l’Etat a poignardé dans le dos l’opérateur en l’abandonnant face aux syndicats. Si à présent, les politiques envisagent de demander à la SNCF de passer des commandes de complaisance, ce qui serait un deuxième mauvais coup, ils nuiront à la santé de la SNCF.

Le gouvernement était-il au courant ?

Le président d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, affirme que oui. Mais tout le monde était au courant des questions que pose le Belfort depuis des années. Si l’Etat n’était pas au courant, cela prouve qu’il ne s’intéresse pas aux sociétés dont il est actionnaire, car il a 20% des droits de vote chez Alstom.

Si l’on écarte les sparadraps, quelles sont les vraies solutions pour Alstom ?

J’ai eu l’occasion de discuter avec Henri Pourpart-Lafarge. Il admet que l’industrie ferroviaire européenne est trop éclatée avec quatre opérateurs que sont Alstom pour la France, Siemens pour l’Allemagne, CAF et Talgo pour l’Espagne, Ansaldo pour l’Italie mais ce dernier est passé sous le contrôle d’Hitachi. Aucun n’a la masse critique industrielle pour durablement affronter la concurrence chinoise qui monte en puissance, américaine ou russe. D’autant qu’aucun de ces opérateurs européens ne peut s’appuyer sur un marché domestique de taille suffisante. On voit d’ailleurs que même Siemens a des problèmes avec son train à grande vitesse. Je pense que le président d’Alstom serait prêt à en discuter avec Siemens en sachant que Siemens ne présente pas un périmètre comparable au groupe français. Siemens est resté un conglomérat dans lequel le ferroviaire ne représente pas une composante dominante. Je crois que, de son côté, Siemens serait prêt à discuter d’une coopération avec son concurrent français mais uniquement sur la partie matériels roulants, et non sur la partie dite signal – système. Cette dernière est une division à forte valeur ajoutée dont la dimension stratégique importante pour le groupe allemand. De son côté l’industrie espagnole est portée par le développement de la grande vitesse sur son marché, pour l’instant.

L’exemple à suivre est bien sûr celui d’Airbus qui est devenu un leader mondial et dont le modèle doit inspirer le ferroviaire européen. L’industrie aéronautique se trouvait dans les années 60 à peu près dans la situation où se trouve celle du ferroviaire aujourd’hui.

Un rapprochement des opérateurs européens se heurte à d’importantes résistances. D’où peut venir le sursaut ?

Après-guerre, le secteur aéronautique a été confronté à la puissance du complexe militaro-industriel américain. La naissance d’Airbus est due en bonne partie à l’intérêt stratégique que le groupe représente pour l’autonomie des outils de défense des Etats membres, tout comme l’aérospatial. L’importance stratégique de l’aéronautique a rendu possible le sursaut industriel de l’Europe et a donné naissance à Airbus.

Cette prise de conscience doit pouvoir jouer dans le ferroviaire. La recherche et développement en défense ont des effets positifs sur beaucoup d’activités : télécoms, internet, cybernétique, numérique, satellites, transports … On l’a vu aux Etats-Unis avec internet. La faiblesse industrielle européenne procède en partie de l’absence de complexe militaro industriel suffisamment fort contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine. Et les pays européens ne pourront développer ce complexe ainsi qu’une R&D solides qu’à l’échelle européenne.

Le programme 2020 en R&D de 76 milliards d’euros n’est pas à la mesure du problème. Il faut le renforcer. L’expérience des avions de chasse multirôles – Eurofighter, Rafale – montre la difficulté qu’ont les pays européens à commercialiser isolément leur programme à l’exportation et l’absence de retombées dans l’avionique. Le projet de création d’un Fonds de solidarité en défense qui a été annoncé est un premier pas. Il va favoriser l’harmonisation des standards des équipements, la coopération militaire. Mais il reste très circonscrit aux enjeux de sécurité. On reste loin d’un complexe militaro-industriel d’envergure qui passera par plus d’intégration en Europe.

Ensemble Siemens, Alstom, Ansaldo représentent 49% de la production mondiale. C’est une force mais cet avantage va être de plus en plus compliqué à maintenir face à la montée des nouveaux acteurs sur le marché international comme les industriels chinois qui s’appuient sur un vaste marché domestique.

Propos recueillis par Laurent Chemineau (L’AGEFI).

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