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Je crois que le rail est vraiment mal parti ! – Le Monde

Sur la réforme ferroviaire européenne, la libéralisation attendra
Rail

Le Monde, le 29 avril – Ils ne le diront pas officiellement, mais les fonctionnaires de la Commission européenne sont déçus. Après trois ans et demi de longues négociations, leur «quatrième paquet ferroviaire» pose certes le principe d’une libéralisation du rail en Europe, mais il n’a plus grand-chose à voir avec l’ambition d’origine. Les Etats membres ont pesé de tout leur poids, avec succès, pour préserver leurs marchés et leurs monopoles nationaux.

Un Coreper, réunion bruxelloise entre diplomates européens, a confirmé jeudi 28avril un accord sur ce texte obtenu en «trilogue» (Commission, Conseil et Parlement européen) le 19avril. Le même jour, les eurodéputés ont définitivement entériné le volet «technique» de cet ensemble de lois européennes, qui consacre le renforcement des pouvoirs de l’Agence ferroviaire européenne. Celle-ci devient un guichet unique pour les autorisations de mise sur le marché des véhicules roulants dans toute l’Union. Une étape importante, mais pas suffisante, pour faciliter la libéralisation du marché.

Paris a notamment bataillé, avec succès, pour ne pas avoir à retoucher sa réforme du secteur, adoptée en2014: la SNCF pourra conserver son organisation désormais «intégrée», avec SNCF Réseau et SNCF Mobilités réunis dans un même groupe ferroviaire unique. Et la concurrence sur les lignes domestiques ne sera introduite que de manière progressive. Sur les «grandes lignes», essentiellement les lignes TGV, elle interviendra au plus tôt en2020. Des concurrents pourront, à leur frais, proposer leur service face à la SNCF. L’Etat pourra cependant protéger certaines lignes, si la nouvelle offre des concurrents affecte les contrats de service public existants…

L’Etat va garder la main Pour les lignes non rentables, et donc subventionnées, comme les TER et les lignes Intercités, c’est théoriquement en2019 que la concurrence s’ouvrira sur un mode de «concession». Dans les faits, les pays seront obligés d’organiser des appels d’offres pour assurer ces prestations à partir de 2023, au plus tard. Mais les autorités d’organisation des transports pourront encore signer des contrats de délégation de service publique de dix ans. «Certains en joueront pour faire durer la situation jusqu’en2033-2034, en signant juste la veille de l’ouverture à la concurrence», glisse une source diplomatique européenne.

En France, un concurrent espère cependant que «des expérimentations sur quelques lignes régionales ou nationales pourront être organisées plus tôt.» Tout dépendra de la volonté politique de l’Etat. Alors qu’il a transféré aux régions la gestion des trains, la France a obtenu que l’Etat codécide avec les régions si elles souhaitent ouvrir à la concurrence… Bref, l’Etat va garder la main.

«C’est un compromis équilibré permettant de se préparer à une ouverture maîtrisée, d’éviter la concurrence anarchique et de préserver les services publics», se félicite un diplomate français. Dans les faits, ce sont bien les grands monopoles publics qui vont confisquer le marché et la création d’un «easyJet» du train, comme le souhaitait récemment Violeta Bulc, la commissaire européenne aux transports, est plus que douteuse tant le secteur est capitalistique et difficile à rentabiliser.

Briser des monopoles pour faire baisser les prix Cela fait pourtant plus de quinze ans que Bruxelles s’attelle à la libéralisation du rail afin de faire baisser les coûts et les prix des billets tout en promouvant un transport écologique, réservoir de croissance et d’emplois. Prenant pour modèle le rail britannique, totalement libéralisé, la Commission voulait briser des monopoles pour faire baisser les prix, pousser à l’amélioration de la qualité des services. Problème, de nombreux acteurs du secteur honnissent la libéralisation britannique et la casse sociale qui a suivi.

Pour sa réforme, présentée en janvier2013, la Commission avait également pour ambition d’imposer une séparation nette entre les gestionnaires d’infrastructure et les opérateurs de services afin de faciliter l’arrivée de nouveaux acteurs. L’Allemagne et la France, les deux plus gros marchés ferroviaires, ont pesé de tout leur poids pour préserver l’organisation intégrée de la Deutsche Bahn et de la SNCF.

« Tous les pays sont venus avec leurs revendications, et tous ont été entendus. Surtout, les Français et les Allemands », regrette Dominique Riquet, partisan de la ligne réformiste de la Commission. « Cette réforme consacre la fragmentation du marché ferroviaire européen et conforte les monopoles nationaux, on en reprend pour vingt ans, je crois que le rail est vraiment mal parti », ajoute l’élu, très amer.

La gauche du Parlement européen reste aussi sur sa faim. Elle exigeait un «volet social», et notamment des garanties sur la préservation des conditions de travail des salariés du rail en cas de changement d’exploitant, mais cela a été fait a minima. En France, cependant, la mise en place d’un cadre social harmonisé pour l’ensemble des opérateurs devrait apporter des garanties aux cheminots ».

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