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[L’OPINION] SNCF : APRÈS LES PREMIERS RÉSULTATS POST-RÉFORME, ATTENTION AUX VIEUX DÉMONS

La SNCF a publié ce jeudi ses résultats annuels pour 2018. Avec 33,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et une croissance de 1,3 %, la SNCF s’estime heureuse de la progression de ses revenus malgré une grève historiquement longue. Pour elle, le second semestre, au cours duquel l’activité a crû de 3,4 %, est très encourageant. Reste que l’entreprise publique commence 2019 dans un contexte d’ouverture à la concurrence, avec un énorme programme d’investissements à mener.

Le gros temps est passé. Mais trente-sept jours de grève entre le 22 mars et le 28 juin 2018, à un peu moins de 20 millions d’euros par jour, forcément, cela laisse des traces. La SNCF entame sa nouvelle vie d’entreprise réformée en constatant un manque à gagner de 886 millions d’euros sur ses revenus et un trou de 770 millions dans les caisses. C’est du passé : lors du dîner de vœux de l’entreprise, il y a quelques semaines, Guilaume Pepy confiait : « Dans la tête de nombreux salariés de la SNCF, deux attitudes cohabitent. D’un côté, une résistance au changement. De l’autre, le sens de l’entreprise et du service public ferroviaire. Cet hémisphère prend le dessus. Les agents ont pris le parti d’aller de l’avant. »

Aller de l’avant ? Cela passe, pour la SNCF, par des prévisions de croissance de 4 % du chiffre d’affaires en 2019, après une toute petite hausse de 1,3 % en 2018 (retraitée à 3,8 % en ne tenant pas compte des effets de la grève). « C’est nouveau qu’il y ait une prévision, Guillaume Pepy ne se risquait jamais à faire un exercice d’anticipation du budget », s’étonne-t-on au sein de l’entreprise. Un souffle nouveau, une entrée dans le monde de l’entreprise « normale » ?

Economies. La SNCF tente, en tout cas, d’axer sa communication sur les bonnes nouvelles à venir. Après avoir réalisé 530 millions d’euros d’économies en 2018, ce qui a limité l’impact des grèves, après 1,7 milliard en 2016 et 2017, l’entreprise vise les 700 millions d’euros en 2019, grâce à des gains de productivité industriels et à des renégociations commerciales. La capacité d’investissement était un des grands enjeux de la réforme de l’entreprise qui, écrasée de dettes, n’avait plus les moyens d’entretenir son réseau. Le groupe signale qu’il a consacré, en 2018, un montant record aux investissements : 8,9 milliards d’euros, autofinancés à 60 %. La priorité a été donnée au réseau, qui, avec ses trente ans de moyenne d’âge, est à bout de souffle : en 2018, 5,1 milliards d’euros ont été investis dans les infrastructures, dont 3,4 milliards d’euros pour le renouvellement du réseau du quotidien, le plus dégradé. En 2019, le montant des investissements, tous financements confondus, dépassera 10 milliards d’euros.

« La SNCF fonctionne-t-elle avec une vraie logique d’entreprise ou est-ce encore un outil de service public, sans considération de viabilité économique ? »
Bonne nouvelle ? Oui, mais aussi danger. Les rénovations comportent d’importants risques et un effet boomerang possible : la dégradation de l’exploitation à cause de la fermeture des lignes. Patrick Jeantet, le directeur général de SNCF Réseau, explique avoir revu totalement « le plan de travaux, changé la façon de faire pour affecter le moins possible les circulations ». Cela peut fonctionner : les chantiers font des progrès considérables grâce aux outils numériques. Dominique Riquet, député européen (UDI), vice-président de la commission transports au Parlement européen, qui a suivi de près le long feuilleton de la réforme de l’entreprise, estime que le vrai risque n’est pas là, mais dans le retour des vieux démons. « La réforme a tant attendu que les enveloppes de restauration risquent de ne pas suffire. Je redoute que la SNCF retombe dans une spirale d’endettement pour tenir le rythme. » Effectivement, mais elle n’a pas le choix. Il faut, d’abord, garantir que les efforts de remise à flot de l’entreprise et l’apurement, par les contribuables, de 28 milliards d’euros de dette, n’auront pas été un coup pour rien. La SNCF doit être rentable pour que le schéma tienne. D’autant qu’elle ne réglera plus ses différends avec elle-même et l’Etat. Elle rendra des comptes aux autres acteurs qui circuleront sur le réseau et devra leur payer des indemnités en cas d’avarie.

Epouvantails du passé. L’arrivée de ces concurrents est, elle aussi, nimbée de brume. La région Sud, avec laquelle la SNCF a des relations tendues, a ouvert il y a quelques jours les premières procédures d’appel d’offres pour des lignes régionales. C’est la première, les autres suivront. Pour les TGV, des opérateurs privés pourront concurrencer la SNCF dès 2020. Reste à établir comment !

Là, c’est l’Etat qui est attendu au tournant. Va-t-il réussir à laisser la SNCF travailler à sa propre santé financière, ou va-t-il encore se servir d’elle comme d’un outil commode de structuration des territoires ? La SNCF aura-t-elle son mot dire dans ses choix stratégiques, ou devra-t-elle continuer d’accepter de remplir à perte un rôle de service public ? Prendra-t-on le risque de supprimer des dessertes non rentables au risque de mécontenter les habitants ? Les priorités n’ont pas été clairement établies. Pour Dominique Riquet, l’espoir de trouver des équilibres est maigre. « Le choix n’a pas été fait. La SNCF fonctionne-t-elle avec une vraie logique d’entreprise ou est-ce encore un outil de service public, sans considération de viabilité économique ? Le flou persiste. Il faut, quoi qu’il en soit, s’attendre à ce que le montage imaginé, avec une holding chapeautant le réseau – en monopole – et l’exploitation – en concurrence – soit vite ingérable. Sans réelle séparation, la SNCF sera toujours juge et partie et il ne pourra jamais y avoir de concurrence. »

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