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[PARLIAMENT MAGAZINE] SCIENCE SANS CONSCIENCE N’EST QUE RUINE DE LA MOBILITÉ (DE DEMAIN)

La mobilité européenne est à la croisée des chemins. La publication des trois paquets mobilité témoigne du statut prioritaire des politiques de transport dans l’agenda politique de l’Union. Cependant, le secteur fait face à de nombreux défis et vise plusieurs objectifs, parfois difficilement conciliables. Alors que les transports sont essentiels à notre quotidien, à notre cohésion territoriale, à notre croissance économique et à nos échanges commerciaux (environ 10% du PIB et de l’emploi de l’UE), ils représentent également un tiers de la consommation totale d’énergie finale en Europe et plus d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre. Pour répondre à ces défis, l’UE s’est fixée un éventail d’objectifs ambitieux, tels que la réduction de la dépendance au pétrole et des émissions des transports de 60% d’ici 2050. Comment réconcilier ces objectifs économiques, sociaux et environnementaux ? Comment préserver l’emploi, répondre à nos besoins croissants en matière de mobilité, préserver et renforcer notre compétitivité dans un contexte de concurrence internationale accrue tout en atteignant nos objectifs de réduction des émissions ? Là où d’aucuns pourraient considérer cela comme une simple question rhétorique, il s’agit en réalité des dilemmes concrets auxquels les législateurs dans le domaine des transports doivent faire face. Beaucoup mettent en avant le progrès technologique comme réponse à ces questionnements, dont je souhaite en discuter les termes par le biais de ce bref article.

Il va sans dire qu’une révolution de la mobilité est devant nous, dont l’innovation technologique sera le principal moteur. Cette révolution affectera tous les aspects de la mobilité, à commencer par les véhicules eux-mêmes. Nous avons déjà – et aurons de manière croissante – accès à un large éventail de types de véhicules, de carburants et de matériaux, dont l’utilisation cohérente et synergique contribuera à réduire notre impact sur l’environnement, en fonction de nos besoins (par exemple, l’électricité présente un potentiel élevé pour les voitures particulières, mais l’hydrogène semble mieux adapté au transport de marchandises sur de longues distances). Parallèlement, la montée en puissance des véhicules connectés et autonomes rendra les systèmes de transport plus efficaces dans l’ensemble, réduisant les accidents et les embouteillages tout en ayant un effet bénéfique sur la santé publique en Europe.

À mesure que les véhicules changeront, les infrastructures devront se moderniser afin de tirer pleinement parti de ces progrès dans les moyens de transports. Comment, dans le cas contraire, alimenter un véhicule à carburant alternatif sans stations de charge abondantes et adéquates? Pareillement, le déploiement de voitures connectées serait-il seulement possible sans l’infrastructure numérique appropriée ? Nécessitant toutefois un investissement estimé à 1 500 milliards d’euros, on attend de l’achèvement du réseau transeuropéen de transports (TEN-T) – représentant nos grands axes européens de déplacements – qu’il améliore l’efficacité et l’interopérabilité du réseau de transport, contribuant à un transfert modal du transport routier (qui contribue actuellement à près de 75% des émissions de GES totales de transport de l’UE) vers des modes moins polluants tels que le rail ou les voies navigables. Nos externalités négatives s’en verraient considérablement réduites.

Face à ces problématiques, il apparaît donc évident que la technologie joue et jouera un rôle clé dans la réduction de notre impact environnemental. Cela nécessitera un effort collectif, associant chacun, acteurs privés comme publics: constructeurs automobiles, assureurs, investisseurs, consommateurs, pouvoirs publics, décideurs… Mais cela sera-t-il suffisant ? Est-il naïf de croire que la technologie pourrait à elle seule nous affranchir de notre dépendance aux combustibles fossiles et faire disparaître notre empreinte écologique liée aux transports? Probablement. Cela signifie-t-il que la technologie a échoué, qu’elle ne peut tenir ses promesses et que nous devrions tous recommencer à utiliser des chevaux et des vélos pour répondre à nos besoins de mobilité ?

Pas tout à fait. La technologie peut constituer un outil puissant pour des changements plus profonds encore, favorisant et permettant un véritable changement de paradigme dans la façon dont nous conceptualisons et utilisons les transports, comme en témoigne le concept de MaaS (Mobility as a Service). En bref, ce concept utilise les nouvelles technologies, en particulier les smartphones, pour trouver la meilleure solution de mobilité en porte à porte en combinant les différents modes de transport public et privé disponibles, en fonction des besoins de l’utilisateur.

À bien y penser, notre utilisation actuelle des véhicules brille par son inefficacité. Les voitures, par exemple, sont stationnées 95% de leur durée de vie et ont un taux moyen d’occupation de 1,7 passagers. Peut mieux faire. MaaS s’y engage en optimisant l’ensemble du système de transport. Selon certains scénarios, son application avisée – correctement associée à un système de transports en commun développé – pourrait réduire le nombre de voitures dans des villes telles que Lisbonne de 90%, tout en répondant aux mêmes besoins de mobilité et en réduisant considérablement nos émissions. L’expression anglaise « less is more » (ndlr : faire mieux avec moins) pourrait être la devise de la mobilité de demain. Bien entendu, la mise en application de MaaS soulève de nombreux défis et je ne propose pas d’abolir la voiture privée, mais la marge de progression n’en reste pas moins énorme.

Toutefois, de tels changements impliquent une réflexion globale à l’échelle de la société, ce qui pourrait s’avérer être le plus ardu. En effet, la voiture n’est pas perçue comme un simple moyen de transport avec quatre roues mais également comme un véritable symbole, un loisir ou un indicateur social. De nombreux exemples de politiques publiques illustrent combien toute régulation touchant à la voiture individuelle peut être délicate. De plus, MaaS ne peut être la panacée de nos problématiques de mobilité. Bien qu’elle offre une option adéquate pour les zones urbaines, elle est bien plus difficilement transposable aux zones rurales. Il n’en demeure pas moins qu’elle offre des pistes intéressantes pour concilier les différents défis de mobilité auxquels l’Europe est confrontée.

Le paquet mobilité appréhende largement l’innovation pour les véhicules et les infrastructures. Il appartient en outre à l’UE de veiller à ce que l’écosystème des réseaux de transport se développe à un rythme satisfaisant. Toutefois, compte tenu de la nature locale des solutions de mobilité émergentes, il revient aux États membres et aux organismes intermédiaires d’expérimenter des politiques alternatives afin de découvrir une mobilité de demain à la fois sûre, propre et connectée. Bien entendu, personne ne peut être sûr de l’impact précis des nouvelles technologies sur les transports. Les voitures connectées et autonomes rendront-elles les voitures particulières plus désirables que jamais, augmentant ainsi leur présence sur la route ainsi que les émissions polluantes qui les accompagnent ? Difficile à prévoir. La technologie n’en demeure pas moins le meilleur outil dont nous disposons pour l’heure, à condition qu’elle s’accompagne intelligemment d’un débat public collectif et d’une volonté politique forte.

 

Article publié le 4 février 2019 par The Parliament Magazine, à retrouver en anglais ici

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