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[THE EUROPEAN FILES] Le plan de relance et le budget européens 2021-2027 : des leviers efficaces pour renforcer l’autonomie stratégique européenne ?

L’autonomie stratégique est une ambition européenne de longue date qui n’a pas toujours été bien assumée par bon nombre d’États membres. Tandis que certains d’entre eux l’ont associé à l’idée d’une souveraineté européenne susceptible de mener à la création de nouvelles compétences pour l’UE dans des domaines nationaux régaliens, d’autres l’ont considéré comme un vecteur de protectionnisme.

 

Pourtant, l’autonomie stratégique a été au cœur de la première politique résolument européenne lancée en 1962, la politique agricole commune (PAC), dont l’objectif était de garantir à l’Europe un approvisionnement stable en denrées alimentaires à prix abordables. Par la suite, plusieurs étapes importantes dans l’histoire de la construction européenne ont permis de développer et consolider la puissance commerciale et économique de l’UE, notamment le marché intérieur, l’espace Schengen, la zone euro ou plus récemment la capacité d’emprunt de l’UE sur les marchés financiers pour financer la relance et des réformes de long terme. La capacité de l’UE d’exporter à l’international ses standards sociaux ou environnementaux constitue une autre dimension de sa force de frappe à l’échelle internationale.

 

La pandémie de COVID-19 a néanmoins révélé des fragilités significatives, en particulier la dépendance de certaines de nos industries stratégiques à l’égard de sources d’approvisionnement situées dans des pays tiers. Alors que les tensions commerciales sont plus vives que jamais et que le multilatéralisme est en crise, plaider pour une autonomie stratégique européenne n’est pas une simple question de politique étrangère ou commerciale mais un impératif. Au regard de la puissance économique et géopolitique de la Chine et des États-Unis, l’UE est le seul échelon pertinent via lequel les Européens peuvent demeurer autonomes et conserver leur puissance.

 

A l’heure où députés européens et États membres négocient le contenu du plan de relance et du budget de l’UE pour la période 2021-2027, il est opportun de repenser notre approche en faveur d’une autonomie stratégique renforcée et de s’interroger sur la manière dont les instruments budgétaires peuvent y contribuer. Ces instruments budgétaires peuvent être mobilisés de deux manières : premièrement, de manière proactive en réalisant des investissements ciblés dans des biens et infrastructures stratégiques, et deuxièmement de manière défensive en protégeant notre marché intérieur de pratiques commerciales déloyales de pays tiers allant à l’encontre de nos intérêts.

 

Mener une politique européenne d’investissements pour renforcer la compétitivité, la résilience et l’autonomie de notre économie a été identifiée à juste titre par la Commission von der Leyen comme l’une des principales priorités des prochaines années. Plusieurs programmes financés par le plan de relance et le budget 2021-2027 ont été pensés pour concourir à la réalisation de ces objectifs. C’est le cas d’InvestEU, dont l’objectif est de stimuler les investissements publics et privés dans des domaines variés telles que les infrastructures durables, la recherche et l’innovation, les PME, etc. En mai, la Commission a décidé d’élargir le champ d’application de ce programme pour y inclure des investissements européens stratégiques dans des secteurs cibles, comme les produits pharmaceutiques, la biotechnologie industrielle, etc. Toutefois, les États membres ont décidé cet été de réduire drastiquement les montants alloués à ce programme. En réalité, les flux financiers ont été redirigés vers des programmes avec une dimension nationale plus forte accordant un pouvoir de décision important aux États membres, notamment la Facilité pour la Reprise et la Résilience destinée à apporter un soutien financier aux États sur la base de plans nationaux de relance listant leurs priorités de réformes et d’investissements. Il y a quelques semaines, la Commission a publié des recommandations pour les États membres sur la manière dont l’argent provenant de cette Facilité devrait être utilisé. Ces recommandations sont très vagues et ne mentionnent que très brièvement l’autonomie stratégique européenne. Des pressions politiques nationales sur l’élaboration de ces plans de réformes sont à prévoir. Elles risquent in fine de dévier l’argent européen des projets d’investissements stratégiques avec une véritable valeur ajoutée européenne.

 

Intensifier et mieux cibler les investissements européens ne sera donc pas suffisant. Nous devons aussi adopter une approche défensive pour protéger nos entreprises à travers l’édiction de règles sanitaires, environnementales et sociales ambitieuses et entretenir des relations commerciales tenant compte de nos valeurs européennes et interdisant tout dumping social ou environnemental. Des ressources propres alimentant le budget européen, notamment un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou une taxe sur les grandes entreprises du numérique, font partie de la solution. Elles permettraient de protéger nos entreprises et d’assurer que nos standards ne soient pas mis à mal par des pays aux standards moins élevés que les nôtres. De telles mesures pourraient aussi avoir un effet d’entrainement sur nos partenaires commerciaux en les amenant à s’aligner sur nos propres standards. Garantir l’accès à notre marché intérieur à des conditions qui respectent nos valeurs et nos normes est donc un élément essentiel pour renforcer notre autonomie stratégique tout en préservant les bénéfices d’une économie ouverte. En outre, la création de nouvelles ressources propres pour le budget européen constituerait des sources de revenus additionnelles pour l’UE qui pourraient ensuite être réinvesties.

 

D’une manière générale, les instruments budgétaires, qu’ils soient utilisés d’une manière proactive ou défensive, ne suffiront pas pour que l’UE soit considérée comme un acteur puissant et stratège sur la scène internationale. Il manque une véritable impulsion politique sur la manière dont les ressources financières européennes sont canalisées vers des projets stratégiques présentant une valeur ajoutée pour l’ensemble de l’UE. Cela nécessiterait d’attribuer à l’UE des compétences dans des secteurs clé, comme la santé, l’industrie ou la défense, ces secteurs ayant aujourd’hui un rôle pivot dans la construction d’une autonomie stratégique. En l’absence de telles compétences européennes dans ces secteurs, les ressources budgétaires déployées à travers des programmes gérés par les États membres ne pourront pas avoir la force de frappe nécessaire pour faire de l’UE une puissance autonome.

 

Retrouvez la version originale de l’article, publiée en anglais dans The European Files, en cliquant ici

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