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[THE EUROPEAN FILES] L’UE EN ROUTE VERS UNE MOBILITÉ AUTOMOBILE DURABLE

Avec le paquet « Fit for 55 », l’Union européenne (UE) s’engage sur une trajectoire ambitieuse pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Représentant à lui seul près d’un quart des émissions totales de gaz à effet de serre (GES), le secteur des transports devra parvenir à une réduction de 90% de ses émissions actuelles au cours des 30 prochaines années. Étant donné que les voitures et les véhicules utilitaires légers représentent les trois quarts des émissions totales des transports en Europe, la proposition de révision du règlement établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et les véhicules utilitaires légers mérite une attention singulière, notamment au vu des enjeux environnementaux, industriels, sociaux, infrastructurels et financiers qu’elle recèle. En particulier, l’objectif de zéro émission pour toutes les voitures neuves vendues à partir de 2035 pourrait avoir des conséquences considérables, car il implique en pratique l’interdiction des véhicules à moteur à combustion interne (ICE).

Définir des objectifs ambitieux est une chose, tracer une voie réaliste pour les atteindre en est une autre. Par-delà les annonces politiques fortes, l’élaboration de mesures concrètes et cohérentes est plus que jamais nécessaire. Comment l’Europe peut-elle décarboner son secteur des transports sans compromettre sa compétitivité industrielle ? Comment garantir à tous les citoyens de l’UE un accès équitable à une mobilité propre ?

L’accomplissement de ces objectifs sera crucial pour répondre aux défis environnementaux que nous rencontrons. Il s’agit d’assurer la juste contribution de l’industrie automobile à la lutte contre le changement climatique. Parallèlement, il est indispensable de veiller à minimiser les externalités négatives et les effets indésirables potentiels de la révision proposée, et du paquet « Fit for 55 » plus généralement. C’est d’autant plus vrai si l’on considère les répercussions potentielles sur la compétitivité économique des industries européennes de pointe, dont l’industrie automobile constitue un parfait exemple. Dans l’UE, l’industrie automobile contribue à 7 % du PIB et génère 14,6 millions d’emplois. Elle est également à l’avant-garde de l’innovation technologique, avec 60,9 milliards d’euros investis chaque année en R&D. Grâce à ces investissements importants, elle adopte déjà des solutions plus propres et plus durables, notamment des technologies non ou peu polluantes. Dans le même temps, elle est confrontée à des obstacles réglementaires croissants dans un contexte de concurrence internationale intense. Le façonnement de la mobilité future des citoyens européens doit se faire en connaissance de cause des conséquences sur la compétitivité et la résilience de l’industrie automobile, lancée dans sa propre transformation.

 

Le tableau d’ensemble

L’objectif global est de réduire les émissions de CO2 des voitures. À mesure que de nouvelles solutions arriveront sur le marché, la contribution des gaz d’échappement aux émissions diminuera, tandis que d’autres activités génératrices d’émissions sont susceptibles de perdurer. La révision proposée devrait refléter cette réalité si elle veut conserver sa pertinence pour relever les futurs défis de durabilité.

Cependant, dans l’état actuel des choses, la révision proposée se concentre uniquement sur la réduction des émissions des gaz d’échappement des véhicules. Cette approche dite du « réservoir à la roue » (TTW – tank to wheel) ne prend pas en compte un sous-ensemble essentiel d’activités génératrices d’émissions. Il s’agit notamment de la production de la source d’énergie (qu’il s’agisse de carburant ou d’électricité), ainsi que de son acheminement jusqu’aux infrastructures de recharge et de réapprovisionnement en carburant. Il ne tient pas non plus compte des émissions générées par la production des composants des véhicules et par les activités d’importation. L’exclusion de ces facteurs donne une image faussée des émissions réelles générées tout au long du cycle de vie d’un véhicule.

S’éloigner du référentiel TTW au profit d’une mesure dite du « puits à la roue » (WTT – well to tank), associée à une analyse du cycle de vie (ACV) des véhicules, permettrait d’assurer une approche cohérente et globale de la question des émissions, tout en évitant les effets de distorsion et les lacunes. Cette méthodologie garantirait de surveiller et de réduire l’ensemble des émissions du secteur dans un cadre unique.

 

Éviter les dépendances critiques

La transition vers des technologies plus propres doit être saluée et encouragée. Dans un contexte de raréfaction des ressources fossiles, la réduction de la dépendance de l’Europe vis-à-vis des combustibles fossiles est particulièrement bienvenue, non seulement en termes de réduction des émissions, mais aussi en vue d’atténuer les vulnérabilités et les déséquilibres commerciaux actuels.

Néanmoins, un pari prématuré sur une technologie unique, comme le suggère la Commission européenne avec l’électromobilité, comporte de nombreux risques. Les batteries en sont un parfait exemple. La chaîne d’approvisionnement n’est pas sécurisée pour le marché européen, en particulier pour les matières premières. Avec une production de batteries qui devrait être multipliée par 20 dans le monde au cours des 30 prochaines années, les tendances géopolitiques seront de plus en plus incertaines, avec tout ce que cela implique pour le prix des matériaux. L’accès aux matières premières est déjà devenu un sujet majeur de la concurrence internationale. La pénurie actuelle de batteries et de leurs sous-composants devrait amener l’Europe à réfléchir à deux fois.

Dans le pire des cas, un passage radical et précoce à une technologie telle que les voitures électriques sans garantir le niveau européen approprié de maturité industrielle entraînerait une dépendance accrue à l’égard des importations en provenance d’États tiers, prêts à défendre leurs propres intérêts stratégiques. Dans un tel scénario, s’appuyer sur une seule solution verte reviendrait à une simple illusion temporaire, tout en entraînant en réalité de graves conséquences pour l’objectif de l’UE de réduire son empreinte carbone et de renforcer son autonomie stratégique.

 

Le principe de neutralité technologique

Dans cette optique, que peut-on faire pour que l’UE entreprenne sa transition sans tomber dans le piège de la dépendance ? L’Europe devra accompagner le développement de chaînes d’approvisionnement résilientes et d’écosystèmes industriels compétitifs. De même, des technologies alternatives de décarbonation telles que les biocarburants avancés ou les carburants de synthèse existent et peuvent être utilisées de manière complémentaire à l’électricité.

Une approche « taille unique » ne fonctionnera pas pour l’Union compte tenu de sa grande diversité économique, sociale et géographique, au sein des États membres et entre eux. Avec un étal de solutions différentes, chaque région et situation devrait tirer parti des solutions les plus adaptées pour réduire les émissions de GES.

Par conséquent, il est primordial que l’Union défende une approche technologiquement agnostique, axée sur la réduction des émissions tout au long du cycle de vie, mais laissant les moyens de le faire aux constructeurs tout en garantissant une diversité suffisante d’alternatives technologiques. Une telle neutralité technologique garantirait l’émergence des solutions avec le meilleur rapport coût-efficacité, en laissant les mécanismes du marché déterminer les technologies optimales, tout en garantissant un accès abordable à tous.

 

Le défi du déploiement des infrastructures

Le déploiement des infrastructures doit refléter la nécessité d’une approche technologiquement agnostique, tirant pleinement parti de toutes les solutions complémentaires plutôt que de s’appuyer uniquement sur une seule technologie. La Commission européenne a fixé un objectif d’un million de points de recharge publics pour les véhicules électriques d’ici 2025. Le déploiement des véhicules électriques nécessite un déploiement simultané d’infrastructures de recharge accessibles. Cependant, cela rappelle le paradoxe de l’œuf et de la poule, puisque leur développement va de pair. La simple fixation d’objectifs irréalistes risque de ne pas produire l’effet escompté, en particulier dans les États membres disposant de peu de moyens. Le risque de manquer ces objectifs est réel, même dans de grands États membres comme la France, qui sont déjà en retard sur les objectifs existants. La disponibilité des bornes de recharge varie considérablement d’un État membre à l’autre, ce qui compromet le projet d’une transition juste et inclusive vers une mobilité propre. Il est impératif de garantir que la mobilité soit accessible à chaque citoyen européen, indépendamment de sa nationalité ou de ses revenus.

 

Financer la transition

Il ne peut y avoir de transition sans financement. Le secteur automobile investit déjà activement dans sa propre décarbonation; mais le fardeau de nouveaux objectifs beaucoup plus ambitieux ne devrait pas incomber exclusivement aux fabricants. Un cas d’espèce concerne la requalification des travailleurs due à l’abandon de la combustion thermique au profit des solutions électriques. L’élimination progressive de la production de véhicules à combustibles fossiles nécessitera un soutien institutionnel pour des programmes de requalification afin d’aider les travailleurs du secteur manufacturier à s’adapter alors que l’industrie connaît un tournant considérable. En outre, des financements appropriés devraient être mis à disposition pour stimuler les programmes de recherche et d’innovation afin d’accélérer la transition verte et numérique du secteur, tout en préservant la compétitivité industrielle de l’Europe.

 

L’Europe doit se doter d’une feuille de route ambitieuse pour la décarbonation de son industrie automobile. En mobilisant tous les outils politiques pertinents et les niveaux de financement appropriés, l’UE peut façonner la future compétitivité de l’industrie automobile sur la voie du « zéro émission nette ». Ce faisant, nous devons veiller à ne pas concentrer tous les efforts sur une seule solution et développer à la place des alternatives équilibrées et viables capables de garantir la mobilité future de tous les citoyens de l’UE.

 

Retrouvez l’article dans sa version originale ici (en anglais)

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