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[THE EUROPEAN FILES] LE FONDS EUROPÉEN DE DÉFENSE, OU L’ÂGE DE RAISON DE L’UNION

L’attaque russe contre l’Ukraine a enclenché un changement fondamental dans la façon dont les Européens appréhendent leur propre sécurité. Peu de temps après l’invasion, des pays européens ont annoncé des changements politiques profonds, comme un accroissement sans précédent des dépenses de défense. Plus que jamais, il est temps pour l’Europe de se donner les moyens de défendre sa population et son territoire. Les derniers développement politiques survenus au niveau de l’Union et au niveau mondial, notamment la mise en œuvre de sanctions sévères contre le régime de Moscou, montrent que l’UE est capable d’agir unie et de manière décisive lorsque la situation l’exige. Au-delà des mesures qui seront nécessaires à court terme pour désamorcer et limiter la propagation du conflit, l’Europe devra intégrer dans ses calculs politiques futurs le risque d’action unilatérale à ses frontières.

 

Quelques jours seulement avant les événements en Ukraine, la Commission européenne avait annoncé un nouveau Paquet Défense, définissant les priorités pour renforcer la politique européenne en la matière. Cette communication est une nouvelle manifestation de l’implication croissante de l’UE sur les questions de défense. Parmi les nombreux leviers politiques disponibles, le Fonds européen de défense continue de figurer en bonne place, et c’est compréhensible, compte tenu du capital financier et politique qui lui est attribué.

 

Le Fonds européen de défense est largement considéré comme la révolution institutionnelle la plus significative de l’Union en matière de défense, qui reste une compétence purement nationale. Il change la donne en s’appuyant à la fois sur les financements européens et nationaux pour encourager la coopération de l’industrie de défense européenne, renforçant ainsi l’autonomie stratégique de l’Europe.

 

On a dans un premier temps intimé au législateur que l’Union ne pouvait soutenir le développement de capacités militaires. Qu’importe! Le Fonds européen de défense a trouvé sa base juridique dans la promotion de la compétitivité industrielle, une compétence partagée entre les États membres et l’UE. Cependant, la genèse du Fonds n’a pas été sans heurts, dans la mesure où il concerne l’industrie de défense, étroitement liée à la souveraineté nationale, ainsi qu’à des considérations philosophiques. En fait, le règlement souligne la contribution du Fonds à l’autonomie stratégique européenne, une notion largement contestée il n’y a encore pas si longtemps. Tout comme le vote serré du Parlement en première lecture reflète ces complexités, le large soutien à cette initiative phare au cours de la nouvelle législature témoigne d’un changement de paradigme en matière d’autonomie stratégique.

 

Le paysage industriel européen en matière de défense est mondialement reconnu pour son excellence, avec un savoir-faire avancé couvrant un certain nombre de capacités militaires (avions de chasse, chars, sous-marins et même capacités spatiales). Cependant, la base industrielle et technologique de défense de l’Europe souffre d’une fragmentation considérable qui entraîne des inefficacités coûteuses. Si la puissance militaire de l’UE était proportionnelle aux dépenses cumulées de ses États membres en matière de défense, elle serait le deuxième acteur mondial, derrière les États-Unis mais devant la Chine (et bien avant la Russie). Le fait que 80 % de l’approvisionnement militaire soit géré sur une base purement nationale a abouti à 178 systèmes d’armes différents en Europe – soit six fois plus qu’aux États-Unis – avec différents niveaux de modernisation et d’interopérabilité. Les incitations financières du Fonds pour les consortiums industriels réunissant des acteurs de tous les États membres s’attaquent au cœur du problème de la fragmentation du secteur de la défense en Europe.

 

De plus, l’UE est en retard sur un certain nombre de capacités militaires de pointe (par exemple, les technologies cyber et quantiques appliquées à la défense) qui façonneront les combats futurs, tandis que des pays comme les États-Unis, la Chine et la Russie continuent d’investir massivement dans des solutions innovantes. Le Fonds de défense géré par l’UE constitue le principal atout de l’Europe pour relever ces défis. En effet, une partie du Fonds est dédiée au cofinancement de technologies disruptives dans le but d’améliorer la performance et la résilience des équipements de défense.

 

Les forces armées européennes restent extrêmement dépendantes, notamment des solutions américaines, pour certaines capacités critiques. Ceci est amplifié par le fait que les équipements militaires produits en Europe reposent souvent sur des sous-composants américains, qui sont soumis à des réglementations extraterritoriales telles que l’ITAR[1]. Cette norme fournit aux États-Unis un puissant levier d’influence sur la gestion de l’équipement par les États membres.

 

À une période où la planification stratégique ne figurait pas en tête de l’agenda de l’Union, le Fonds européen de défense a marqué un tournant décisif pour la coopération européenne en matière de défense. À terme, il contribue au renforcement de l’autonomie stratégique et de la souveraineté technologique de l’UE. Si le budget convenu est nettement inférieur à ce qui était initialement prévu (8 milliards d’euros au lieu de 13 milliards d’euros pour la période 2021-2027), il permet à l’UE de s’engager sur la voie de la maturité en matière de sécurité, 70 ans après l’échec de la Communauté européenne de défense. Cela dit, le « retour du tragique dans l’Histoire » incite à aller encore plus loin. Un fonds plus ambitieux, tant sur le plan financier que politique, servirait une Europe plus ambitieuse. Gageons que les partisans d’une Europe forte n’auront alors pas renoncé à la création d’une DARPA[2] européenne.

[1] Réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international (International Traffic in Arms Regulations).

[2] Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Defence Advanced Research Projects Agency).

 

Retrouvez l’article dans sa version originale ici (en anglais)

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