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Le transport ferroviaire se replie derrière des remparts médiévaux – Conférence Transports et mobilité durable

4ème conférence transports et mobilité durable « une révolution en marche ? », mardi 17 mai à Paris : animée par  le journaliste Thierry Guerrier et en compagnie d’Alain Vidalies, Emmanuel Macron, Louis Nègre et Christophe Bouillon, nous avons débattu en particulier autour de deux thématiques : « Rail, route, fleuve : où en est-on ? » et « Vers une révolution intermodale et connectée ? ». Retrouvez ci-dessous le verbatim de mes interventions :

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DÉBAT 1 – Rail, route, fleuve : où en est-on ?

Thierry Guerrier : Au sujet du 4e paquet ferroviaire, nous avons pu entendre une critique sur l’application d’exceptions à la règle commune. Quelle est la vision du Parlement européen ?

Dominique Riquet : L’Europe aime le secteur ferroviaire, car il s’agit d’un moyen massifié, social, recommandable sur le plan environnemental et structurant pour les territoires. L’idée était d’aider la promotion du mode ferroviaire et de le soutenir d’abord d’une manière technique, permettant de gérer l’interopérabilité et la sécurité à l’échelle européenne. Cette action a été menée avec succès.

Ensuite, il s’agissait de promouvoir le secteur ferroviaire au travers d’un « paquet politique », qui visait à ouvrir les marchés à la concurrence. Ce modèle semble correspondre à une vision européenne et fait la preuve de son efficacité ailleurs. Or, l’Europe doit faire face à une multitude de situations différentes : certains États sont très libéralisés, comme l’Angleterre, alors que d’autres sont strictement monopolistiques comme la France. Grosso modo, ce « paquet politique » n’a guère intéressé les pays libéralisés. De plus, nous avons assisté à une défense féroce des monopoles de la part d’autres pays. Par conséquent, j’estime que ce paquet est un échec, car seule la situation du régulateur a été préservée. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la France a détruit ce paquet : elle était à la tête de la contestation.

Ce paquet n’a pas encore été adopté par le Parlement, en tout cas, et il ne permet plus de libéraliser le réseau. Ceci est regrettable, d’autant plus que le système ferroviaire français cumule des problèmes financiers, économiques, de services, de sécurité, d’infrastructures, etc.

En revanche, les opérateurs ferroviaires français à l’international, comme Transdev, Keolis et RATP Développement, sont devenus des leaders mondiaux. Ils ont pu développer à l’étranger un savoir-faire qui leur permet non seulement de réaliser des services de très haut niveau, mais également d’en tirer des bénéfices financiers confortables. Notre système national présente un grand nombre de problèmes, mais nous sommes très performants à l’international : cherchez l’erreur…

Thierry Guerrier : Vu des hémicycles de Bruxelles et de Strasbourg, que suggérez-vous aux différents opérateurs ?

Dominique Riquet : Si les autorités organisatrices des transports, l’État ou les régions notamment, affichent une forte volonté d’ouvrir à la concurrence en France, je précise qu’ils ont le pouvoir de le faire.

Être pragmatique, très probablement, signifie ne pas résister. Hélas, le monopole persiste et nous constatons même des résistances sociales et corporatives. Or, une volonté sans failles d’aller de l’avant est fortement nécessaire afin d’affronter toutes les différentes convictions politiques.

J’ai récemment pu discuter avec le président de l’ARF, Philippe Richert et, manifestement, la motivation des régions est d’ordre financier. Elles estiment devoir assumer un coût trop onéreux au vu d’un service qui se dégrade mais, en même temps, qui présente une troublante opacité des comptes. De plus, en fonction de l’alternance politique, elles affichent des convictions à géométrie variable au sujet de la libéralisation. J’aimerais préciser qu’en France, le monopole et le service public ne doivent pas être confondus. Nous sommes tous d’accord sur le concept de préservation du service public, mais, en même temps, nous devons envisager de résoudre ces problèmes de libéralisation et de performance.

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Thierry Guerrier : Dominique Riquet, je vous laisse le soin de la conclusion.

Dominique Riquet : Il est toujours intéressant pour un Européen de se plonger dans le débat national, parce qu’il est spécifique et particulier.

Nous n’avons pas abordé le secteur fluvial. Je rappelle que la France a longtemps été la première nation fluviale du monde. Je me réjouis donc que l’on revienne vers une infrastructure telle que Seine-Nord Europe qui, je l’espère, va se matérialiser prochainement. Il s’agit aussi d’un élément à prendre en compte pour le transfert modal, avec de nombreuses choses à inventer.

Dans le transport en général, nous constatons que les contraintes économiques, technologiques et sociétales évoluent à toute vitesse. En face, le législateur a trois solutions. S’il est visionnaire, il précède ; s’il est gestionnaire, il accompagne ; s’il est réactionnaire, il freine. Il demeure des impasses que nous ne pouvons plus contourner, telles que l’impasse budgétaire publique. En fin de compte, essayer de sauver un modèle, qui a d’ailleurs des mérites et qui a fonctionné, par tous les moyens pour éviter d’être confronté aux réalités financières, technologiques et sociétales serait une solution nous menant à la catastrophe. Je pense, moi, que le secteur ferroviaire français est en grand danger et, au-delà des discussions concernant les régulations à y apporter, il faut prendre des décisions drastiques, comme cela a été dit.

Ensuite, dans le cadre des préoccupations environnementales et des révolutions technologiques, nous voyons que les rapports du rail à la route vont changer totalement.

Dernière remarque, il n’y a pas de discussions économiques sur ces sujets. Pourtant, ce sont des éléments qui ne peuvent plus être considérés à l’échelle nationale. En termes de mobilité, la réflexion d’un modèle national a ses mérites, mais aussi ses limites. Je suis toujours frappé de voir combien ce type de réunion est « hexagonalisé »

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DÉBAT 2 – Vers une révolution intermodale et connectée ?

Thierry Guerrier : Dominique Riquet, vous avez travaillé sur les plateformes collaboratives. Comment se dessine la mobilité de demain, en restant à l’échelon européen ?

Dominique Riquet : Effectivement, il n’existe plus de problèmes de frontières sur ce sujet. Nous constatons que cette irruption de nouvelles possibilités et de nouveaux usages a laissé les politiques et les régulateurs très désemparés. En effet, plusieurs révolutions technologiques apparaissent en même temps, dont certaines touchent directement la mobilité, à l’aide d’échanges de datas : entre les usagers et les véhicules, entre les véhicules, entre les véhicules et l’infrastructure et les objets connectés. Il s’agit d’un énorme réseau permettant d’échanger en permanence un certain nombre de données et qui s’est tissé au fil d’avancées technologiques pas toujours destinées à un usage précis. Nous avons vu apparaître ces usages avec, d’une part, le problème des plateformes d’intermédiation et, d’autre part, le problème des plateformes de partage. Les réactions dans le monde entier ont été extraordinairement différentes, non pas d’un pays à l’autre, mais d’une ville à l’autre. Cet élément contribue au désarroi du régulateur, tout comme l’organisation de la mobilité sur l’ensemble des territoires, au plus petit échelon. Par exemple, dans la mobilité urbaine ou interurbaine, nous avons constaté que les pays et les territoires étaient organisés de manière extrêmement différente.

Thierry Guerrier : Comment abordez-vous, à l’échelon européen, l’émergence de ce nouveau concept de véhicule connecté, et en particulier du véhicule autonome ? Il faisait l’objet de railleries il y a deux ans, alors que nous voyons naître des projets technologiques très précis qui posent des questions aux autorités, puisque ces véhicules seront bientôt accessibles, et pas uniquement en Californie. Cette problématique est-elle prise en compte à l’échelon européen ?

Dominique Riquet : Il s’agit d’un important sujet de discussions, de débats et de consultations en Europe. Premièrement, nous avons vu que les problèmes technologiques seraient relativement résolus, voire déjà résolus. Deuxièmement, il en est de même pour les problèmes de régulation. Troisièmement, les problèmes assurantiels n’existent plus. Une voiture est une structure autonome qui roule sur une infrastructure neutre. En réalité, nous allons avoir une voiture qui, du fait de son autonomie et de sa connexion, devra évoluer dans un système « intermodalisé » et interconnecté.

D’une certaine façon, le véhicule autonome change même le concept du transport routier. De plus, les problèmes que nous pensions les plus difficiles n’existent pas. Enfin, un aspect apparaît très important : c’est celui des infrastructures fixes, car votre véhicule communique avec. Or, cette communication pose des difficultés en termes d’investissements, de contrôle et de protection des données.

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Clôture des travaux

Dominique Riquet : En guise de remarques introductives, je m’inquiète du fait que le mode de transport ferroviaire se replie derrière des remparts médiévaux afin de moins subir ces ruptures technologiques. Par ailleurs, il est clair que la fiscalité, et plus précisément la redevance fiscale et sociale, doit faire l’objet de mesures à l’échelle européenne.

Premièrement, les nouveaux opérateurs de transports ne sont pas des transporteurs. Ils ne sont d’ailleurs pas représentés au sein de notre table ronde. Il est troublant que les grands opérateurs de transports se soient fait devancer par des amateurs…

Deuxièmement, au sein de l’Europe, lorsqu’un entrepreneur souhaite mettre en œuvre une idée disruptive, il doit s’adresser à une vingtaine de régulateurs nationaux, 123 opérateurs de réseaux, et n’a en pratique aucune chance de développer un modèle économique fiable dans de courts délais. De sorte qu’un tel entrepreneur finira par se faire absorber par les GAFA, c’est-à-dire les Américains. Établir de nouveaux réseaux nécessite de prendre de grands risques et de soulever de grands fonds financiers, tout en agissant au sein d’une grande incertitude commerciale, juridique et technologique. En d’autres mots, il est difficile de demander à des investisseurs de s’engager à construire sur des sables mouvants… Le monde et l’économie évoluent à toute vitesse. La question en Europe est de savoir si les opérateurs historiques peuvent s’en sortir ou si un opérateur émergeant dominant doit faire son apparition. Il s’agit, in fine, de connaitre la bonne échelle économique des différents modèles.

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