Ils en parlent,  Médias

Les «gilets jaunes» ternissent l’image de Macron sur la scène internationale

Le mouvement de contestation en France fait réagir les dirigeants du monde entier, de Moscou à Washington, en passant par Rome, Berlin ou Ankara.

Il ne pouvait que se réjouir de voir son ennemi déclaré en difficulté. Depuis l’Italie, Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur d’extrême droite en guerre ouverte contre Emmanuel Macron, n’a rien manqué du mouvement des «gilets jaunes» et de la contestation inédite qu’il exprime. «Macron n’est plus mon adversaire. Il n’est plus un problème pour moi. Il est un problème pour les Français», a tranché, mercredi 5décembre, le Lombard. Comme si son rival avait déjà abandonné la partie dans le conflit entre «nationalistes» et «progressistes» alimenté par les deux leaders depuis cet été. Face à un chef de la Ligue àl’insolente popularité, Emmanuel Macron semble désormais bien fragile.

Jusqu’ici, le président français pouvait jouer sur son image de leader jeune, convaincu, dynamique, qui lui assurait une popularité réelle sur la scène internationale. En témoignent les bains de foule réguliers lors de ses déplacements variés en Europe. Pour ses adversaires, la contestation des «gilets jaunes» marque la fin de cet état de grâce international.

Donald Trump n’a ainsi pas laissé passer l’occasion de régler ses comptes, alors que de nombreux dossiers, à commencer par l’environnement, opposent désormais les deux hommes. Le président des Etats-Unis a posté un message sur Twitter, mardi, après l’annonce d’un moratoire sur les taxes relatives aux carburants: «Je suis content de voir que mon ami @EmmanuelMacron et ceux qui protestent acceptent la conclusion à laquelle je suis parvenu depuis deux ans: l’accord de Paris est fondamentalement mauvais, car il provoque une hausse des prix de l’énergie pour les pays sérieux, tout en donnant un blanc-seing à certains des pires pollueurs.»

Il a ajouté que «les contribuables américains n’ont pas à payer pour nettoyer la pollution d’autres pays», alors que le sien est de loin le plus grand émetteur de gaz à effet de serre par habitant du monde, selon le rapport du Global Carbon Project publié mercredi.

Message mensonger Incarné par une France périphérique, plutôt blanche, souvent victime de la mondialisation et qui n’hésite pas à s’en prendre à l’immigration, le mouvement des «gilets jaunes» correspond en de nombreux points à l’électorat de M.Trump, et plus largement à la vague populiste qui connaît actuellement une nouvelle vigueur un peu partout sur la planète.

Lou Dobbs, commentateur de la chaîne conservatrice Fox Business et proche du président des Etats-Unis, a estimé sur son compte Twitter que «le peuple français abhorre la politique mondialiste anti-Trump de Macron». Le locataire de la MIaison Blanche a lui-même partagé le message mensonger d’un autre conservateur, lundi, qui assurait que les rues de Paris retentissaient du slogan «Nous voulons Trump!»

De ce côté-ci de l’Atlantique, le chancelier conservateur autrichien, Sebastian Kurz, allié àl’extrême droite, a érigé la France en contre-exemple. «On peut dire que l’Autriche est une île de bienheureux», s’est-il exclamé pour vanter le calme et la stabilité régnant dans son pays. De fait, le calme règne en Italie ou en Hongrie, où les dirigeants de droite radicale que M.Macron prend régulièrement pour cible gouvernent, eux, avec des sondages nettement plus favorables…

«Nous appelons les autorités parisiennes à s’abstenir de tout recours excessif à la force, conformément aux principes généralement admis de l’humanisme», a déclaré Maria Zakharova, porte-parole du ministère des affaires étrangères russe Dans les pays plus autoritaires, l’agitation française est utilisée sans vergogne pour justifier leur propre pratique. Le ministère turc des affaires étrangères a appelé la France à la «retenue», dénonçant «l’usage disproportionné de la force» contre les manifestants. Même tonalité à Moscou, où ce n’est pas sans une certaine jubilation que Maria Zakharova, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a déclaré, jeudi: «Nous appelons les autorités parisiennes à s’abstenir de tout recours excessif à la force, conformément aux principes généralement admis de l’humanisme.»

A Moscou, les médias proches du pouvoir avaient, dès dimanche, repris les mêmes éléments de langage: les «gilets jaunes» sont «une révolution de couleur» fomentée par les Etats-Unis, parce que M. Macron a plaidé pour la création d’une armée européenne. Pour le journal pro-gouvernemental Rossiskaïa Gazeta, pas de doute, «l’affaiblissement de Macron, et avec un peu de chance, sa démission, est dans l’intérêt de Trump».

Face à ces cris de joie, les dirigeants plus proches d’Emmanuel Macron se font discrets. Surtout ceux qui, en Europe, avaient célébré l’élection d’un dirigeant français réformiste. En Allemagne, le mouvement des «gilets jaunes», s’il est salué par l’extrême droite, trouble les responsables politiques de gauche, de droite ou les écologistes, qui aimaient Macron l’Européen, mais découvrent un autre Macron, plus autoritaire et pas assez attentif à la justice sociale.

«Ce mouvement met en lumière la faiblesse de départ du macronisme, qui n’a sans doute pas assez accordé d’importance à la justice sociale», estime la députée verte Franziska Brantner, ancienne vice-présidente du groupe d’amitié Allemagne-France au Bundestag. Comme d’autres élus, elle s’inquiète des conséquences qu’aura le mouvement sur le quinquennat de M. Macron, qui a nourri de vifs espoirs outre-Rhin. Le président français y avait été accueilli, en2017, comme un «enfant prodige» de la politique, celui qui avait sauvé son pays du populisme et qui allait enfin engager les réformes différées par ses prédécesseurs.

«Le Parlement de la rue» «La Grande-Bretagne va quitter l’Union européenne [UE], l’Italie est dirigée par les populistes, Merkel est chaque jour plus affaiblie… Macron était jusque-là le seul leader vraiment pro-européen. Son affaiblissement, s’il est durable, serait terrible pour l’Europe», redoute encore MmeBrantner. En Allemagne, beaucoup craignent aussi les conséquences de la crise actuelle sur la démocratie en France: «Quelle peut être l’alternative dans un pays où les partis de gouvernement n’existent quasiment plus et où l’opposition n’est plus incarnée que par les extrêmes?», s’inquiète ainsi le démocrate-chrétien (CDU) Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag.

En Scandinavie aussi, l’élection d’Emmanuel Macron avait suscité un élan d’espoir: ce dernier citait souvent le modèle nordique en exemple! Aujourd’hui, la presse scandinave estime que, décidément, «le Parlement de la rue» finit toujours par l’emporter en France. Et si les dirigeants de ces pays se gardent de commenter le mouvement des «gilets jaunes», les médias y fustigent l’«arrogance» de M. Macron et sa gouvernance jupitérienne.

A Bruxelles, la perte de crédit du président français inquiète. Certes, le volontarisme macronien s’était déjà heurté à la complexe machine européenne et aux réticences allemandes notamment. Mais, alors que pointe le risque de nouveaux dérapages budgétaires français, le message de l’Elysée risque de passer encore moins bien. Pourquoi avancer dans la réflexion vers une eurozone plus intégrée, plus solidaire, si la deuxième économie de l’union monétaire menace à nouveau de s’affranchir des règles du pacte de stabilité et de croissance? Alors que, déjà, l’Italie fait des siennes?

A Bruxelles, la capacité d’influence d’un dirigeant est toujours liée à sa légitimité au niveau national et au nombre d’eurodéputés que son parti peut envoyer au Parlement de Strasbourg. Or les sondages sont de plus en plus mauvais pour le scrutin de mai2019. Le groupe des libéraux et démocrates (ALDE), qui espérait bousculer les équilibres grâce àl’arrivée d’un grand nombre d’eurodéputés La République en marche, voit ainsi la concrétisation de cet objectif s’éloigner.

Ambitions de plus en plus irréalistes «Si les “gilets jaunes” s’organisaient politiquement, c’est sans doute les extrêmes qui seraient affaiblis, pas les partis constitués plus modérés», veut toutefois croire l’eurodéputé français ALDE, Dominique Riquet. L’absence d’alternative politique pourrait même entraîner, estime-t-il, un ralliement de l’opinion à un vote «institutionnel», en faveur de ceux qui dirigent et peuvent ramener le calme.

Mais les ambitions de M. Macron, qui rêvait de dynamiter le Parti populaire européen (PPE), la grande famille des droites européennes, et espérait avoir un poids décisif dans le choix du/de la futur(e) président(e) de la Commission, paraissent de plus en plus irréalistes. Ses alliés principaux, les premiers ministres libéraux du Benelux, Charles Michel en Belgique, Mark Rutte aux Pays-Bas et Xavier Bettel au Luxembourg, sont inquiets.

Le chef du gouvernement belge est même confronté à une mobilisation locale de «gilets jaunes», qui n’a pas l’ampleur de celle qui agite l’Hexagone mais qui s’en inspire directement.

Il est, par ailleurs, empêtré dans une querelle avec les nationalistes flamands de la NVA, son partenaire de coalition, sur le pacte migratoire de l’ONU, également dénoncé par plusieurs «gilets jaunes». Or les encouragements de M. Macron, qui se réjouissait du ralliement belge àce texte lors de sa visite officielle, fin novembre, à Bruxelles, ont eu le don d’énerver le parti néerlandophone, résolument hostile au texte onusien, à tel point que la coalition gouvernementale tangue sérieusement. Comme si l’enfant prodige français, auprès de qui tous les leaders de la planète voulaient s’afficher, portait désormais la poisse.

Publié le 7 décembre 2018, par Le Monde, vous pouvez retrouver l’article en intégralité ici.

X